top of page
Photo du rédacteurMickaël Baubonne

La fuite en avant du tout-tramway

Le tramway a toute sa place à Bordeaux. Ces dernières années, le réseau a cependant fait face à des épisodes de saturation de plus en plus réguliers et importants. Ces difficultés ont convaincu la Métropole à miser encore sur le tramway en mettant en place les terminus partiels en 2014. Loin de régler les problèmes, les terminus partiels ont contribué à aggraver la situation. Entre 2014 et 2018, le nombre de pannes a augmenté de 147% ! Plus de tramway n'ayant pas suffit, certains proposent plus de tramway encore... Au risque d'engager la Métropole dans une véritable fuite en avant du tout-tramway.


Toujours plus de tramway...

La solution pourrait sembler inspirée des Shadoks, qui réglaient leurs problèmes en pompant toujours plus : pour régler ce que plus de tramway n'a pas permis de régler, ajouter encore plus de tramway. La proposition a pourtant bien été faite avec l'idée d'un réseau de tramway ramifié. Il s'agit de réaliser de nouvelles lignes de tramway à partir des lignes existantes. Une de ces lignes emprunterait notamment une infrastructure nouvelle sur le cours de la Marne entre la gare Saint-Jean et la place de la Victoire, avant de se brancher sur la ligne B jusqu'au campus. La ligne B "historique" et cette ligne nouvelle formeraient un "Y" avec un tronc commun entre le campus et la Victoire. Le moteur perpétuel Shadok pour la machine à pomper était aussi fondé sur le même principe : "Plus ce sera compliqué, plus cela aura de chance de marcher".

Le "Y" en tramway au niveau de la place de la Victoire

Surfréquentation en perspective

Les lignes nouvelles qui traverseraient le coeur de la métropole afin de soulager les lignes existantes emprunteraient des corridors dont l'intensité urbaine est plus importantes qu'autour des lignes A, B et C. Ces lignes nouvelles seraient donc plus saturées encore que les lignes existantes. D'ailleurs, Vincent Feltesse a parlé à ce sujet de tronçons "surfréquentés". Une ligne surfréquentée est en réalité une ligne sous-dimensionnée, dont la fréquentation a été très mal anticipée.


Vers une explosion de la ligne B

Un réseau de tramway ramifié est extrêmement difficile à exploiter. D'ailleurs, ceux qui défendent l'idée d'un réseau de tramway ramifié à Bordeaux n'apportent aucun élément sur l'exploitation d'un tel réseau. Aucune information n'est donnée en particulier sur la fréquence sur la ligne B et sur les fréquences sur l'hypothétique ligne nouvelle campus-gare. Cette configuration en "Y" est incompatible avec des fréquences à 3 minutes entre les Quinconces et le campus puisqu'il faudrait intercaler, entre la Victoire et le campus, des tramways venant de la gare Saint-Jean. Cette solution supposerait donc une dégradation de la fréquence sur la ligne B. Pour obtenir une fréquence à peine soutenable de 2,5 minutes sur le tronc commun, entre le campus et la place de la Victoire, la ligne B devrait passer à une fréquence de 5 minutes, ce qui était sa fréquence à son inauguration. Le terminus partiel au niveau de la place des Quinconces a pourtant été mis en place pour augmenter la fréquence sur la ligne B et répondre à la demande entre l'hypercentre et le campus. Et la saturation inquiétante de rames passant toutes les 5 minutes entre la gare Saint-Jean et la place de la Victoire, tronçon "surfréquenté", ne fait aucun doute. De telles modalités d'exploitation du réseau s'accommoderaient par ailleurs très mal du taux de panne constaté aujourd'hui sur le réseau (hausse du nombre de pannes de 85% entre 2014 et 2018 [1]).


La ramification du réseau de tramway de Bordeaux n'est pas une alternative à la construction d'un métro. Cette mesure rendrait l'exploitation du réseau plus compliquée alors que les difficultés d'exploitation sont déjà nombreuses.

Vers une hausse inquiétante des collisions

Un tramway toutes les 2,5 minutes conduit à monopoliser l'espace public au seul profit des transports collectifs. Certes, cela a pour corollaire la marginalisation de l'automobile. Mais cela a aussi des effets indésirables puisque les modes doux de déplacement se trouvent également marginalisés. Il suffit de rappeler que la hausse de 12% du nombre de cyclistes en 2017 s'est doublée d'une augmentation de 50% du nombre de collisions vélo/tramway. Ce constat est éclairant sur la cohabitation de plus en plus difficile entre un tramway aux fréquences élevées et les modes doux de déplacement.


Strasbourg : la ramification congestionne le réseau

La solution consistant à ramifier le réseau de tramway n'est manifestement pas viable à Bordeaux. Les expériences menées dans d'autres villes amènent également à s'interroger. A Strasbourg, une infrastructure est empruntée par plusieurs lignes. L'objectif, comme à Bordeaux, était de répondre à la saturation du réseau en multipliant les noeuds de correspondance.


Quels sont les enseignements à tirer de cette expérience ? Le tramway est toujours saturé et à ce problème s'est ajouté celui de l'encombrement des infrastructures. La fréquence sur les troncs communs, empruntés parfois par trois lignes, est insoutenable et conduit à de sérieux ralentissements. La vitesse commerciale du tramway en centre-ville est tombée sous les 10km/h. Loin de diminuer la pression sur le pôle de correspondance historique, le maillage du réseau a contribué à congestionner des pôles de correspondance émergents. L'Eurométropole parle d'une "complexification de l'exploitation".

Loin de diminuer la pression sur le pôle de correspondance historique, le maillage du réseau a contribué à congestionner des pôles de correspondance émergents.

Ces difficultés d'exploitation ont justement convaincu Genève à procéder au "démaillage" de son réseau pour revenir à des principes d'exploitation plus clairs, plus lisibles et plus simples.


Karlsruhe décide finalement d'enterrer son tramway

À Karlsruhe, le réseau de surface maillé conduisait également à un encombrement de l'espace public à cause de l'incessant ballet des tramways et des tram-trains. L'agglomération a depuis opté pour la construction de deux sections souterraines pour permettre aux transports en commun de tenir des fréquences élevées tout en restituant l'espace public aux modes doux de déplacement.




La ramification du réseau de tramway n'est pas une alternative à la construction d'un métro. Cette mesure rendrait l'exploitation du réseau plus compliquée alors que les difficultés d'exploitation sont déjà nombreuses.

La ramification du réseau de tramway n'est pas une alternative à la construction d'un métro.

L'occupation de l'espace public due au métro lorsqu'il évolue en souterrain est limitée aux infrastructures d'accès aux stations : totems, ascenseurs et escaliers. Avec moins de circulation en surface, l'espace public peut alors être réaffecté aux autres usages urbains et particulièrement aux modes doux de déplacement.




---------------------------------------

(1) Alors que le taux de panne du tram pour 10 000 kilomètres était de 0,32 en 2014, il était de 0,54 en 2018. Sachant qu'en 2014, les tramways ont parcouru 4.708.987 kilomètres au total (kilomètres commerciaux + kilomètres "haut-le-pied"), il y a donc eu 151 pannes en 2014. En 2018, les tramways ont réalisé 6.891.991 kilomètres au total, ce dont on déduit la survenance de 372 pannes. Autrement dit, entre 2014 et 2018, le nombre de pannes a augmenté de 147% sans aucune proportion avec l'augmentation du nombre de kilomètres parcourus (+46% seulement sur la même période). Ne sont par ailleurs comptabilisées que les pannes bloquantes avec remorquage-poussage ou haut-le-pied. Il ignore donc les interruptions du trafic de courte durée mais suffisantes pour désorganiser un réseau avec des fréquences importantes.

Comments


bottom of page