TBM a présenté au public le nouveau réseau de bus de la métropole, mis en service à la rentrée 2023. Ce plan a été construit sans aucune consultation des associations et habitants de l’agglomération, entraînant ainsi une vague de protestation contre plusieurs changements dès l’officialisation des nouveautés. Malgré le fait que l’association Métro de Bordeaux n’ait donc pas été consultée, nous souhaitons faire part de nos observations, analyses et critiques du nouveau réseau.
I/ Un chamboulement de réseau avantageux pour certains, difficile pour d’autres
Bien que les changements soient conséquents, l’ossature du réseau change peu, les corridors anciennement desservis par les lianes continuant de l’être.
D’abord, plusieurs communes se dégagent comme étant gagnantes dans ces changements. Talence avec le campus voit sa desserte renforcée avec une lianes un peu plus fréquente (5 minutes au lieu de 7 minutes heure creuse), et de nouveaux liens. La 73 reprend le trajet de la 43 depuis Bègles jusqu’à Forum, et prolonge son tracé jusqu’au Bouscat via Mérignac et le CHU. Ce prolongement est bienvenu et permet une desserte fine de Talence, et relie directement Bègles au campus et au CHU. La ligne 80, est elle aussi une nouveauté particulièrement appréciable. Elle relie directement et rapidement le campus et Gradignan au centre-ville de Bordeaux via le CHU. Cette ligne offre une très attendue alternative au tram. Il est d’ailleurs plus que probable que le bus soit donc plus rapide que le tram pour rejoindre hôtel de ville depuis le campus, étant donné que le trajet se fera essentiellement via des voies bus de bonne facture. Il est cependant dommage que cette ligne ne soit pas une ligne principale avec une fréquence plus élevée que 20 minutes. Enfin, la 23 reprend le trajet du 20, qu’elle prolonge jusqu’à Bègles d’un côté, Le Bouscat de l’autre (reprenant la desserte de la 12), c’est un changement là aussi bienvenu.
Le nouveau schéma permet au réseau de bus de la rive droite de gagner un petit peu en simplicité. La 40 est supprimée, la 27 simplifiée. La desserte perdue par cette modification est reprise par la ligne 60, qui trace un axe Nord-Sud sur la plaine rive-droite. La desserte de la presqu’île est aussi simplifiée, la lianes 31 absorbant plusieurs lignes. Cependant, la fréquence de la 31 sur la presqu’île promet d’être faible (30 à 60 minutes), le gain d’offre n'est donc pas évident.
D’autres communes cependant, y perdent au change. La suppression de la lianes 11 est sans doute le changement le plus difficile pour les usagers du réseau. Sur l’axe Gare St Jean-CHU-Mérignac, la desserte est reprise par une ligne principale (la 20). Cette dernière ne dessert cependant pas Martignas, qui se retrouve à perdre son seul lien en transports en commun avec Bordeaux. Les Mérignacais souffriront de cette dégradation de l’offre (fréquence de 20 minutes au lieu de 12), sachant qu’aucune nouvelle extension de tramway n’a amélioré l’offre de transport sur le corridor de la 11. Il est vrai que la 11 était sans doute la pire lianes du réseau (saturée, trop longue, mauvaise régularité). Il aurait fallu la changer, mais pas dégrader l’offre sur le corridor de la ligne, surtout au vu de la saturation dont souffrait la ligne entre le CHU et la gare. Une solution aurait été de couper la ligne en 2 : une ligne Bègles – CHU, et une ligne Martignas – Gare St Jean. Les deux lignes se superposent sur le tronçon CHU – Gare St Jean, offrant ainsi une fréquence accrue sur le tronçon saturé. Sur la partie Bèglaise, la 35 et la 15 reprennent les corridors de la 11, en les simplifiant, ce qui est une bonne chose. Cependant, Bègles perd donc son lien avec le CHU, et la desserte de la commune est dégradée puisque l’Avenue Jules Guesde et la rue Marc Sangnier ne sont plus desservies.
Le nouveau réseau est caractérisé par des lignes extrêmement longue. La 31, la plus longue, fera près de 50km ! Elle constituera l’une des plus longues lignes de bus de France. La 35 également sera particulièrement longue, puisqu’elle partira de la Gare St Jean, s'étirera jusqu’à Cracovie via Bègles, Talence, Pessac, Mérignac, et Bruges. Des lignes de cette longueur sont impossibles à gérer correctement, surtout quand l’ambition est d’y faire rouler un bus toutes les 5 minutes pour la 31, toutes les 10 minutes pour la 35. Il suffit de constater la difficulté qu’a posé la longueur de la 11 (36km) à son exploitation pour constater l’impossibilité d’assurer une bonne régularité sur une telle longueur. La lianes 5, très longue aussi, avait dû être divisée en deux parties afin de gagner en régularité sur la ligne.
Avec le passage en lianes des lignes 35 et 39 (en vert foncé), c’est donc bien la desserte banlieue – banlieue qui est favorisée dans ce nouveau schéma. En dehors de la lianes 31 (en vert clair, et qui existe en réalité déjà), la desserte radiale n’est pas renforcée, voire même est dégradée avec la suppression de la 11 (en rouge sur la carte).
II/ Un réseau illisible
En regardant le plan du réseau pour la première fois, ça donne d’abord l’impression d’un grand bazar. On s’éloigne de la structure claire et hiérarchisée actuelle. Actuellement, le schéma est plutôt clair, même si quelques écarts de couleurs viennent déjà jouer les trouble-fêtes (bleu foncé sur la 1 et la 3) depuis plusieurs années. On a le bleu pour les lignes à haut niveau de service, l’orange pour les lignes qui passent toutes les 20 minutes, et le vert pour le reste. Même chose pour les numéros : de 1 à 19 pour les lianes, de 20 à 29 les principales, de 30 à 39 les lignes périphériques… Bref, c’était clair.
Sur les nouveaux plan les couleurs sont incompréhensibles. Tout est bleu ou bleu-vert. Malgré le faible contraste, un grand nombre de teintes de couleurs sont utilisées. A elles seules, les lianes se répartissent sous 3 teintes de bleu. Rien n’est signalé en légende pour expliquer ces différences. Folie artistique de l’agence de cartographie ? Au-delà de la simple lecture de la carte, tout le langage graphique du réseau est impacté. Aux arrêts de bus par exemple, il sera difficile de différencier le niveau de service des lignes selon la couleur, puisqu’elles n’ont pas de signification claire.
De même, la numérotation manque de logique. Qui comprend que les lianes ont des numéros allant de 1 à 39, alors même que des lignes principales ont des numéros compris entre 20 et 29 ? Qui comprend que certaines lignes locales sont numérotées entre 30 et 34, d’autres entre 60 et 90 ? Tout ça ne fait aucun sens, et ajoute à la confusion amenée par les couleurs.
Rien que de comprendre le réseau est un parcours du combattant. S’adresser à des initiés du bus pour tenter d’élargir la part modale de ce dernier semble déconnecté de la réalité.
III/ Le bus, un mode de transport insuffisant pour soulager et améliorer le réseau actuel
Avec ce plan, la métropole espère augmenter la part modale des transports en commun. Cela semble assez improbable, du fait de nombreux éléments. D’abord, pour attirer, il faut qu’un réseau soit clair, structuré, lisible, ce qu’il n’est pas suffisamment. De plus, les changements répétés de tracé de ligne n’instaurent pas une « confiance » au bus, par exemple pour emménager proche d’une ligne.
Un bus, aussi express soit-il, reste un bus. Il n’attire pas autant qu’un tramway. On peut le constater en ce moment même avec l’inauguration de la ligne A du tram jusqu’à l’aéroport. Ce dernier rencontre un bon succès, et les rames sont bien remplies. Le nombre d’usagers sur le tronçon augmente donc fortement depuis le passage au tramway, alors même que celui-ci est presque aussi fréquent que le bus ! La population s’approprie bien plus d’un tramway du fait de sa visibilité (on sait où passent les rails). Dans l’imaginaire collectif : Le bus est lent et compliqué à comprendre. C’est un véhicule qui prend la route comme les voitures, et doit s’arrêter en plus de cela à de nombreux arrêts, et fait parfois des détours. Il n’a donc aucun avantage comparatif par rapport à la voiture. Il est difficile de casser cette réputation du bus, et d’autant plus quand on complique un réseau…
Un renforcement du bus reste souhaitable pour agir en béquille au tramway, notamment en cas de panne. Un bon réseau doit offrir des chemins alternatifs. Les concepteurs du plan doivent avoir en tête les situations où le tram est en panne lors de la construction du réseau de bus. Malgré une fiabilité plus élevée de ses infrastructures de transports, Paris utilise beaucoup le principe d’offrir des alternatives lors de la construction de son réseau de transport, et ça paye. Bordeaux devrait prendre exemple.
Les bus peuvent compléter et aider le tramway, mais ne peuvent pas devenir la colonne vertébrale d’un réseau. Les bus manquent de capacité, de lisibilité pour assurer un tel rôle. Les bus correspondent à la desserte de détail, or, le réseau actuel ne manque pas de ce type de service, c’est justement sa principale force actuelle. Même le tramway assume un rôle de desserte de détail. Alors tenter d’améliorer le réseau en renforçant seulement ses qualités sans agir sur ses défauts semble hors-sujet.
Il manque aujourd’hui des axes rapides, capacitaires et fiables sur le réseau bordelais. Le bus ne répond évidemment pas à cette description, et seul le métro, et dans une certaine mesure le tramway et le RER, répondent à cela. S’agissant des axes banlieue-banlieue, renforcés avec les lianes 35 et 39, ce n’est pas là non plus que le bus augmentera sa part modale. La lenteur de ce dernier, alors même que la voiture va justement plus vite en banlieue qu’en centre-ville, ne convainc que les usagers captifs qui utilisent déjà ce mode de transport aujourd’hui. C’est donc uniquement un renfort au profit des usagers actuels (qui n’est pas de refus pour la 35), qui ne se traduira sans doute pas sur la part modale du mode de transport. Effectivement, seuls 15 000 voy/j sont attendus sur cette ligne de plus de 30 kilomètres.Pour les liaisons banlieue-banlieue, il faut de la rapidité. Une meilleure utilisation de la ceinture ferroviaire correspondrait au besoin, et pourrait attirer des usagers qui prennent aujourd’hui la voiture, à condition que le service soit fréquent (15 minutes). Un tram-train pourrait très bien convenir, offrant ainsi la possibilité d’être prolongé sur le pont Chaban et la rive droite depuis la ceinture ferroviaire.
Conclusion
Malgré quelques améliorations sur le point de l’offre, le nouveau réseau ne semble pas améliorer la situation actuelle. L’exploitation des bus se révèlera sans doute particulièrement compliquée du fait de la longueur des lignes. De plus, la lisibilité du réseau se retrouve clairement dégradée par rapport au plan actuel. Ainsi, il paraît peu probable que les bus de la métropole gagnent en part modale. Il faudrait encore une fois plus d’ambition que du bus pour une métropole de 850 000 habitants.
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