Hervé Lefèvre, directeur général de Keolis Bordeaux Métropole, est intervenu lors de la réunion publique organisée le jeudi 11 avril 2019 par l’association Métro de Bordeaux sur le thème « Pourquoi un métro à Bordeaux ? ». Lors des échanges, il a fait remarquer que si l’idée d’un métro était pertinente à l’horizon 2030, elle ne devait pas être défendue aux dépens du tram lequel rend quotidiennement service à de nombreux Bordelais. En réalité, pour l’association Métro de Bordeaux, il s’agit davantage de critiquer l’architecture du réseau qui condamne le tramway à la congestion à court terme que de condamner le mode lui-même qui sera d’ailleurs dans l’avenir complémentaire au métro. Alors, « tram-bashing » ou critique d’un modèle reposant uniquement sur le tram ?
Le tramway peine à suivre la croissance de la métropole
La réunion publique organisée par l’association Métro de Bordeaux le 11 avril 2019 a été l’occasion de se poser la question suivante : « Pourquoi un métro à Bordeaux ? » Une telle question impose nécessairement d’en préciser le contexte.
La métropole de Bordeaux est aujourd’hui équipée d’un très long réseau de tramway, qui s’étirera sur près de 80km à l’inauguration de la ligne D en fin d’année. Ce réseau rend service à plus de 300 000 voyageurs par jour. Il est évident qu’il répond à des besoins.
Mais quinze ans après la mise en service du tramway, les performances diminuent. Et l’exploitant, en première ligne, en est sans doute une des principales victimes, à devoir assumer les lacunes d’un réseau qu’il n’a pas lui-même dessiné. Entre 2014 et 2017, tout le monde s’entend pour dire que le nombre de pannes a augmenté (il reste à s’entendre sur le chiffre…). La vitesse commerciale des lignes baisse lorsqu’elle n’est pas dopée par des extensions en périphérie, comme la ligne C vers Blanquefort. Les usagers ont le sentiment que le réseau est « extrêmement utilisé », Christophe Duprat, vice-président de Bordeaux Métropole en charge des transports, soulignant même que le « réseau tourne à plein régime ». Or, l’attractivité démographique et économique de l’agglomération laisse présager d’une augmentation d’au moins 50% du nombre d’usagers sur le réseau TBM à l’horizon 2030.
L’exploitant assure que les limites physiques du tramway seront atteintes dans moins de 10 ans, ce qui oblige à réfléchir à l’étape d’après. Le président de la Métropole a clairement évoqué que cette étape ultérieure ne reposera sans doute pas sur le tramway, qui « arrive à la fin d’un cycle ».
Alors le métro ? Pour mieux faire comprendre l’intérêt d’un métro dans l’agglomération, on multiplie volontiers les comparaisons entre ce qui existe, le tramway, et ce qui pourrait être ajouté, le métro. Le métro est trois fois plus fiable que le tramway. L’exploitation du métro est 25% moins chère que celle du tramway. Le métro est au moins deux fois plus capacitif que le tramway… Si Hervé Lefèvre, directeur général de Keolis Bordeaux Métropole, note que, « à l’horizon 2030, le métro est une très bonne idée », il alerte aussitôt sur le fait qu’« il faut se méfier de prendre des chiffres pour casser le tram et dire finalement que c’est une solution qu’on peut mettre aux oubliettes ». Alors, comparer le métro au tram se résume-t-il à une opération de tram-bashing ?
Sans métro, le réseau bordelais, basé sur le tramway, sera saturé dans moins de 10 ans
Pour assurer de la nécessité d’un tramway à la fin des années 1990, la Communauté urbaine de Bordeaux insistait sur les difficultés rencontrées par le réseau de bus. Les bus étaient englués dans la circulation automobile, les bus n’étaient plus suffisamment capacitifs, les bus étaient très lents et leur régularité n’était plus assurée. Ce n’était pas pour autant du « bus-bashing ». L’objectif était simplement de souligner les lacunes d’un modèle reposant sur le bus. D’ailleurs, un réseau de bus subsiste à côté du tramway. Comme le tramway subsistera à côté du métro.
Les comparaisons entre le tram et le métro s’appuient sur les données et les tendances actuelles du réseau de transport en commun de la métropole. Il ne s’agit pas de discréditer le tramway mais de rendre compte de la congestion qui accable le tramway en tant que colonne vertébrale du réseau de transport en commun d’une métropole très attractive de 800 000 habitants. Ce rôle aujourd’hui assigné au tramway explique les difficultés rencontrées sur le réseau TBM. Par exemple, l’augmentation du nombre de pannes et le renchérissement de l’exploitation du tramway à Bordeaux sont étroitement liés à l’extrême sollicitation du réseau de tramway. Pour répondre aux besoins exprimés par les usagers, l’exploitant est obligé d’augmenter les fréquences, qui sont passées sous les 4 minutes, voire sous les 3 minutes sur les lignes C/D, au lieu des 5 minutes initialement prévues. Dans ces conditions, l’infrastructure et le matériel roulant sont mis à rude épreuve et s’usent plus vite. Et l’exploitant s’en accommode, avec des agents mobilisés, notamment au poste central de commandement, pour relever tous les jours les innombrables défis posés par ce réseau.
Un métro à Bordeaux ne se justifie qu’au regard des limites du réseau existant. Or le réseau existant repose sur le tramway. Mettre en lumière les limites du réseau existant revient donc nécessairement à révéler les limites du tramway. Mais il ne s’agit pas des limites du tramway en tant que tel : le tramway à Bègles par exemple remplit parfaitement son rôle… Il s’agit de souligner les limites du tramway en tant qu’épine dorsale du réseau de transport en commun. Cette place au sein de l’architecture du réseau condamne inexorablement le tramway à la saturation.
Le tramway sera un complément indispensable du métro
Comme l’indique Hervé Lefèvre, « chaque mode a sa pertinence et il n’est pas possible d’opposer le métro au tram parce que les fonctions ne sont pas les mêmes ». C’est précisément la raison pour laquelle l’association Métro de Bordeaux soutient que le métro et le tramway ont chacun un rôle à jouer dans l’agglomération. Encore faut-il leur attribuer les bons rôles… Sans doute cette association s’emploierait-elle à défendre un projet de tramway si Bordeaux avait fait le choix dans les années 1990 du métro. D’ailleurs, l’association a soutenu le projet d’extension du tram A vers l’aéroport. Justement parce qu’elle est consciente des atouts du tramway. Jamais elle n’a mis en cause le projet de tram D qui relève d’une certaine forme d’évidence.
Le réseau de métro qu’elle porte joue par ailleurs la carte de la complémentarité avec le réseau de tramway existant. Il ne s’agit pas d’enfouir les lignes et de démanteler le tramway, mais de le mailler, c’est-à-dire de proposer des parcours alternatifs et même parfois de desservir de nouveaux secteurs. Retrouvant un rôle de desserte fine du territoire, le tramway serait soulagé d’une partie du trafic actuel. Le but est alors de révéler les atouts inestimables du tramway à Bordeaux avec des stations rapprochées et des lignes qui innervent le territoire métropolitain. La finesse de la desserte assurée par le tramway, qui est un point noir pour un tramway qui est l’épine dorsale du réseau de transport en commun, est bien un point fort lorsque le tramway s’appuie sur un réseau de métro.
C’est dire si l’association Métro de Bordeaux n’est pas prête à jeter le tramway aux oubliettes…!
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