Le Pont de Pierre, joyau historique de Bordeaux, se prépare à une nouvelle phase de travaux pour assurer sa pérennité. Cependant, cette restauration met en lumière un enjeu crucial : la dépendance excessive à ce pont pour les transports en commun reliant les deux rives de la Garonne. Alors que les besoins de mobilité explosent dans la métropole, cette situation pose une question essentielle : comment réinventer la liaison entre la rive droite et la rive gauche pour un réseau plus efficace et résilient ?
Un chantier nécessaire qui impactera la mobilité des Bordelais
En Mars dernier, il a été annoncé des travaux à venir sur le Pont de Pierre afin d’assurer la pérennité de l’ouvrage qui subit le poids des ans. Des travaux devant d’étaler à compter de 2025 chaque été, jusqu’en 2028 minimum. Cinquante mois de chantier pour un total de 50 millions d’euros. Un investissement nécessaire pour que le Pont de Pierre, symbole de Bordeaux, reste debout longtemps encore. Mais au-delà du prix à payer pour remettre en état un ouvrage qui en a bien besoin, ces travaux révèlent deux problèmes majeurs :
une desserte unique en tramway pour relier la rive droite et la rive gauche
une desserte insuffisante face aux besoins de mobilités qui explosent sur Bordeaux métropole
C’est cette liaison unique qui va être en partie sacrifiée le temps des travaux, et les usagers quotidiens du tram qui vont en être les principales victimes (les bus seront déviés par le Pont Saint Jean). Les usagers du tram A en premier lieu concerné par les travaux puisqu’ils sont 75000 à traverser la Garonne chaque jour, mais aussi ceux du tram C et D pour les correspondances. D’autant plus que, concomitant à ces travaux, la métropole prévoit d’installer un nouvel aiguillage au niveau de la Porte de Bourgogne sur ces lignes C et D, entraînant une interruption de trafic de près de trois mois. C’est donc tout le cœur du réseau de transport en commun Bordelais qui se retrouve paralysé et l’accès à la Gare sérieusement compromis. Les touristes estivaux qui arriveront de la Gare Saint Jean pour visiter Bordeaux apprécieront de voir l’accès au centre-ville se complexifier.
Un Pont longtemps solitaire sur la Garonne Bordelaise
Le Pont de Pierre a longtemps été le seul ouvrage permettant de traverser Bordeaux : près de 143 ans ! En effet, il faudra attendre 1965 pour que le Pont Saint-Jean soit inauguré et 1967 pour le Pont d’Aquitaine.
Des projets de nouveaux ponts ont bien sûr été imaginés entre 1822 et 1965.
Le premier remonte à 1910. Il était question d’un nouveau pont métallique dans le prolongement de la place des Quinconces. Le pont devait se composer de sept travées pour 15 mètres de large afin d’accueillir deux voies de tramway, deux voies ferrées à double rail et une voie charretière au centre. Des trottoirs en encorbellement étaient prévus pour les piétons. Le projet fut stoppé par la Première Guerre Mondiale.
En 1925, et pour faciliter l’activité du Port, l’idée d’un pont à travée mobile est étudiée mais resta sans suite.
Une démolition totale du Pont fut même envisagé comme en 1939 et entériné par une décision ministérielle du 3 Décembre 1941. Ce fut la guerre qui stoppa le projet.
Le pont a vu ses bâtiments d’octroi supprimé en 1954 et l’élargissement de sa chaussée la même année pour permettre l’accueil d’un trafic routier toujours plus dense et croissant. On y a également démoli la corniche et les modillons du Pont, remplacés par un encorbellement en béton armée et de nouveaux garde-corps et candélabres (remplacés à nouveau dans les années 1980 dans un style fin XIXème siècle). Il ne faut pas oublier qu’à cette époque, tout le trafic routier de la N10 passe en plein centre de Bordeaux et est générateur de nuisances grandissantes.
Travaux de consolidation : préserver un patrimoine fragile
Le Pont de Pierre a fêté ses 200 ans en 2022. Cet ouvrage, symbole de Bordeaux au même titre que la Place de la Bourse ou le Grand Théâtre doit être consolidé en raison d’un affaissement de ses piles (chacune pesant 5000 tonnes) sous l’effet de son propre poids mais aussi du passage des véhicules qu’il supporte. En effet, le Pont de Pierre a été conçu au temps du passage des calèches et des diligences et n’a jamais été construit pour le passage des voitures, des bus ou encore du tramway. Pour stopper l’affaissement des piles, il est prévu d’enfoncer à leur niveau des pieux d’une quarantaine de mètres de long jusqu’aux marnes (les roches les plus dures situées au fond du fleuve) pour les 11 piles sur les 17 que compte l’ouvrage.
Ce n’est pas la première fois que le Pont fait l’objet de travaux de consolidation. Déjà, dans les années 1990, des travaux ont eu lieu dans ce but, mené par l’Etat alors propriétaire de l’ouvrage. La première consolidation a été faite en Juillet 1992 sur les piles 2 et 3 avec des travaux qui dureront un an. La même chose sera effectuée en Juillet 1993 sur les piles 1 et 4. Malgré tout, à cette époque, le Pont montre de nouveaux signes de faiblesses. C’est ainsi que la Pont subit une fermeture totale à la circulation entre le 17 Décembre 1995 et le 6 Janvier 1996 en raison d’un risque grave d’effondrement pour la pile centrale n°7. Lors de cette fermeture, les piles 7 à 11 seront renforcées. A cette occasion, on installe sur le Pont des capteurs afin de surveiller en continu l’affaissement des piles, pour intervenir si besoin et éviter tout incident grave.
A partir d’Août 1996, de nouveaux travaux sont menés sur les piles et les fondations avec la mise en place d’enrochement avec des gabions en pierre retenus dans du grillage, le tout installé dans le lit du fleuve et recouvert d’un film textile. Le but étant de recouvrir le talus restauré des piles 7 à 11 menacées de ruines quelques mois auparavant. Ce sont près de 10000 tonnes de roches et 9000 mètres cubes de gabions qui seront ainsi posés, en faisant appel à des plongeurs. Le chantier se poursuivra sur les autres piles en 1997.
Une étanchéité compromise
Avec le passage du temps, le Pont de Pierre n’est plus étanche. Les infiltrations d’eaux pénètrent dans les maçonneries de l’ouvrage et compromettent sa solidité, d’autant plus que le Pont est creux afin d’alléger sa structure. Il est donc également question de reprendre entièrement le tablier lors des travaux afin de l’étanchéifier.
Un réseau de transports paralysé : quelles alternatives pour les usagers ?
Ces travaux nécessaires pour assurer la pérennité de l’ouvrage vont compromettre le fonctionnement déjà plus que chaotique du réseau de transport en commun Bordelais. Pour les voitures, ce n’est plus un problème puisque le Pont leur est interdit depuis l’été 2017 dans la cadre d’une expérimentation de fermeture à la circulation devenue depuis pérenne. Pour consolider les piles 7 à 16 et forer le sol, les engins de chantiers devront occuper la plateforme de tramway. C’est donc la seule ligne de tramway reliant la rive droite à la rive gauche qui va se retrouver coupée pendant près de deux mois durant trois années consécutives (voire quatre si nécessaire). C’est également le cas pour les bus comme la Liane 16, qui sera elle détournée par le Pont Saint Jean, tout comme les taxis et les véhicules de secours. Le détournement des véhicules routiers (bus, taxis, véhicules de secours…) est possible mais certainement pas un tramway qui ne peut sortir de ses rails, et dont le dépôt principal tant pour la maintenance que pour l’injection des rames, se situe en rive droite à la Bastide. Heureusement, nos élus jamais avares d’un joli trait d’esprit nous proposent à la place de traverser le Pont à pied, chose que les usagers ont déjà le loisir d’expérimenter quand le tramway est en panne à l’heure de pointe du matin et du soir ou de prendre le vélo. Les usagers ayant des problèmes pour marcher, des handicaps ou étant âgé apprécieront cette délicate attention. Toujours dans le cadre de cette déconnexion hallucinante face à des besoins en mobilités qui ne faiblissent pas, Bordeaux métropole présente sa navette fluviale comme une alternative possible avec un renforcement des liaisons à compter de l’été 2025. Comme si la capacité des Batcub pouvait se comparer à celle d’un tramway.
Une fragilité connue de longue date, mais toujours non résolue
Cette liaison en tramway par le Pont de Pierre, unique traversée centrale des transports en commun pour le cœur du réseau de Bordeaux métropole dévoile un point faible au sein d’un réseau déjà bien mal en point. Un réseau mal en point car incapable d’accueillir toujours plus de voyageurs dans de bonnes conditions de transport et pour des temps de trajets satisfaisants, renvoyant ses usagers vers des alternatives que sont les modes de transports individuels (à deux ou quatre roues et motorisés ou non).
Ce point faible dans la liaison rive droite rive gauche est une faiblesse connue de longue date et sur laquelle des solutions impliquant des modes lourds vont devoir s’imposer tôt ou tard, au risque de renvoyer la rive droite dans un enclavement que l’on croyait appartenir au passé depuis l’inauguration de la ligne A en Décembre 2003.
Préconisations : vers une nouvelle ère pour les transports bordelais
Ces fermetures estivales à venir du Pont de Pierre pour le solidifier doivent également être le synonyme du début d’un renforcement du réseau de transport en commun existant, tant pour la liaison rive droite et rive gauche que pour l’accès au centre-ville. Ceci est d’une importance capitale dans les années à venir alors qu’autour de la Garonne, de nouveaux quartiers émergent (Belvédère, Brazza, Belcier…) avec leurs milliers d’habitants qui vont se retrouver mal reliés au reste de l’agglomération si rien n’est fait.
C’est pourquoi à moyen terme, il est nécessaire de doubler la traversée du Pont de Pierre par une nouvelle liaison en tramway via le pont Chaban, entre la ligne B au niveau de Cap Science à Bacalan et la rive droite avec la ligne A au niveau de Cenon Gare. L’idée étant d’anticiper un scénario catastrophe potentiel où le Pont de Pierre malgré les travaux de renforcement ne pourrait plus accueillir sur son tablier le passage des tramways (40 tonnes à chaque passage tout de même).
Pour ce qui est du long terme, c’est le métro qui s’impose comme une évidence pour relier les deux rives avec une traversée centrale et sous fluviale. Il s’agit de mettre un terme une bonne fois pour toute à cette barrière naturelle qu’est la Garonne et qui coupe encore aujourd’hui Bordeaux en deux sur le plan des transports en commun. L’idée étant d’offrir avec le métro une traversée centrale du centre-ville rapide, efficace et souple grâce à l’automatisation et au site propre intégral, garantir la pérennité des sites traversées (Port de la Lune et la perspective des quais puisque la ligne passerait en souterrain ne gênerait personne). En clair, qu’il devienne aisé de passer de la rive droite à la rive gauche et inversement, sans détours compliqués.
La balle est désormais dans le camp des élus. À charge pour ces derniers de faire le nécessaire pour que le centre-ville ne devienne pas l’impasse en transport en commun qu’il est en train de devenir : d’une part, en raison de l’insuffisance des modes proposés centrés sur la surface et, d’autre part, de la cohabitation avec le reste des usagers plus que jamais délicate.
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