L’étalement urbain illustre l’échec des collectivités territoriales à maîtriser l’urbanisation du territoire, qu’elles ont laissée filer en dispersant les zones d’activités monofonctionnelles et en saupoudrant les lotissements. Récrivant l’histoire, certains élus n’ont pas hésité à jouer la carte de la périphérie qui serait vampirisée par le centre. D’autres n’ont pas voulu inventer un autre modèle, en se complaisant dans le rôle des coupables pénitents. L’étalement était devenu une façon de prétendre partager les richesses que la ville accaparerait. La récente flambée des prix de l’essence révèle très durement l’impasse qu’est ce modèle.
Bordeaux Métropole : une stratégie des mobilités au doigt mouillé
À cet échec urbanistique, les élus locaux ont désormais la prétention de répondre par le développement des transports en commun. C’est hors sujet : les transports en commun ne peuvent pas réparer un modèle favorisant et reposant sur l’usage de la voiture individuelle. La réponse ne peut être qu’urbanistique. Mais cela supposerait que les élus interrogent leurs propres choix et ceux de leurs électeurs.
…les transports en commun ne peuvent pas réparer un modèle favorisant et reposant sur l’usage de la voiture individuelle
Il est autrement plus facile de promettre un nouveau bus express ou un RER, surtout quand l’électeur n’est pas le contribuable ! La nouvelle « stratégie » des mobilités de Bordeaux Métropole consiste ainsi à développer un RER et des bus. Les guillemets s’imposent tant elle ne s’appuie sur aucun élément tangible. Alors que le président de la Métropole avait annoncé trois critères (utilité, coût, bilan carbone) pour examiner les futurs projets en matière de mobilités, les projets ont en réalité été retenus ou exclus sur la base de vagues « croyances » rappelées ici et là.
…les projets ont en réalité été retenus ou exclus sur la base de vagues « croyances »
L’une de ces croyances consiste justement à prétendre que des personnes qui ont fait le choix de l’étalement grâce à la souplesse de la voiture vont demain préférer la rigidité des transports en commun.
Des projets coûteux pour peu de voyageurs
Il s’agira depuis sa maison individuelle de prendre sa voiture, ou plus rarement son vélo, jusqu’à la gare la plus proche, de s’aménager une marge de sécurité suffisante et donc d’attendre, pour prendre un train qui ne conduira sans doute pas vers sa destination finale, qu’il faudra encore rejoindre à pied, à vélo ou en transports en commun. Combien d’usagers quotidiens supplémentaires seraient séduits par ce parcours du combattant ? Moins de 10 000 s’agissant du RER, projet estimé entre 1 et 2 milliard(s) d’euros sans que l’on sache précisément ! Au total, le RER transporterait chaque jour 55 000 voyageurs, estimation revue à la baisse par rapport à une précédente étude de 2018 qui en annonçait 61 000.
Dans ces secteurs où population et activités ont été étalées, les transports en commun ne peuvent séduire qu’à la marge
Et les chiffres avancés pour les futurs bus express censés révolutionner la mobilité de périphérie à périphérie ne sont guère plus favorables. 15 400 voyageurs emprunteraient quotidiennement la liaison nommée « Technobus », sur pas moins de 30 kilomètres. À titre de comparaison, la ligne A du tramway transporte 130 000 voyageurs par jour sur une vingtaine de kilomètres. Dans les secteurs où population et activités ont été étalées, l’utilisation des transports en commun suppose le plus souvent plusieurs ruptures de charge. Dans ces conditions, les transports en commun ne peuvent séduire qu’à la marge. Ils ne sont une réponse pertinente aux besoins de la population que dans les zones denses. Aimer les transports en commun et militer en faveur de leur développement ne doit pas aveugler.
La Région fuit ses compétences
Qui prétend révolutionner les mobilités par plus de transports en commun sans chercher à maîtriser un urbanisme galopant s’expose aux plus grandes déconvenues. Récemment, le « monsieur transports » de la région, Renaud Lagrave plaidait encore pour un « choc de l’offre » après s’être pourtant étonné de l’absence de report modal significatif malgré les investissements publics dans les réseaux de transports en commun. Mais à aucun moment de son intervention l’élu ne fait le lien avec l’étalement urbain.
Comment sérieusement s’étonner de l’absence de report modal malgré des investissements importants dans les transports en commun dans le cadre d’un modèle d’urbanisme reposant sur l’utilisation de la voiture ? Pourtant la région a des compétences à faire valoir en termes d’organisation de l’espace. La région vote en effet deux schémas contraignant les autres niveaux de collectivités et pourrait ainsi en profiter pour diffuser des orientations. Elle pourrait également financer des infrastructures de transports en commun, à commencer par le RER, en s’assurant au préalable que les communes maîtriseront l’étalement urbain plutôt que de le favoriser.
La région vote en effet deux schémas contraignants les autres niveaux de collectivités…
Quand la remarque lui est faite, Renaud Lagrave se contente d’abord de rappeler qu’il n’est pas maire. Puis, se rappelant peut-être des nombreuses compétences de la région, il assure que la région va très loin en développant des « pôles d’échanges multimodaux » pour intégrer des quartiers entiers, citant l’exemple d’une passerelle à Angoulême. Quel rapport avec l’étalement urbain ? Aucun : il fallait bien noyer le poisson.
Pour l’élu régional, ce qui importe, c’est de développer les infrastructures. Réformer le modèle d’urbanisme ne lui effleure pas même l’esprit.
Mais Renaud Lagrave l’assure, quand les autorités organisatrices des mobilités augmentent l’offre, ça marche. L’élu a ainsi bon espoir que les cars express permettant de gagner Bordeaux depuis la périphérie décongestionnent les routes. Rien que ça… D’abord, on pourrait se poser la question de savoir si des routes vides n’auraient pas vocation à se remplir très rapidement. Ensuite, on doit se rappeler que la première expérimentation des cars express entre Créon et Bordeaux a été considérée comme un succès avec… 700 voyageurs par jour. Mais Renaud Lagrave de nuancer lorsque les chiffres lui sont opposés : « Si on fait cinq fois 700 voyageurs, c’est beaucoup ! ». En réalité, selon nos calculs, cela ne fait que 3 500. Alors, c’est peut-être « beaucoup » mais ça ne représente toujours rien au regard de l’ensemble des flux à l’échelle de la Métropole. Une fois encore, le hors sujet est total. Pour l’élu régional, ce qui importe, c’est de développer les infrastructures. Et si on ne développe pas les transports en commun, cela signifie que l’on est favorable à une rocade à huit voies. Pour lui, la seule alternative est là. Réformer le modèle d’urbanisme ne lui effleure pas même l’esprit. Après tout, il n’est pas maire, il n’a pas la charge de l’urbanisme ou de l’aménagement du territoire. Son cœur de métier, c’est de faire rouler des trains et des cars. Toujours plus de trains et toujours plus de cars.
Métropole : le dindon de la farce
Cela témoigne en tout cas d’une réelle fuite en avant des différents acteurs, à la Métropole, à la Région, pendant que le Département se plait à monter les territoires les uns contre les autres pour ne rien financer. Et il reste beaucoup d’argent pour fuir encore ! Animée par le poids d’une supposée culpabilité à l’égard de ses voisins, la Métropole accepte ainsi d’être la seule intercommunalité à financer des projets régionaux de mobilités à la fois directement et en tant que membre du syndicat mixte Nouvelle-Aquitaine Mobilités, y compris au-delà de ses compétences. On pourrait au moins se rassurer si la région, en retour, finançait les projets métropolitains de mobilités. Sauf que ce n’est pas le cas : la région s’y refuse. Mais la situation ne choque évidemment pas l’élu régional, sans doute trop content de trouver là une bourse pleine, et ouverte.
On entendra certainement son successeur s’étonner dans quelques années de l’absence de report modal en dépit des grands investissements publics dans les transports en commun !
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