Partie 2. La construction de la première ligne
Un peu plus de trois années seront nécessaires entre le choix du système VAL et le lancement du chantier de la première ligne. Des procédures sont en effet indispensables pour ce genre de réalisation :
phase de concertation
enquête et déclaration d’utilité publique
sondages préliminaires du sol
avant-projet sommaire puis détaillé
appels d’offres puis sélection des entreprises
L’avant-projet sommaire définit le tracé de la première ligne, reliant le quartier de Jolimont à celui du Mirail. Le but étant d’assurer la desserte rapide de l’Université du Mirail et de désenclaver les quartiers du sud-ouest de la ville tout en desservant la gare Matabiau. Le désengorgement du cœur de ville est aussi le but de la construction de cette première ligne.
La marque de son époque
Cette première ligne est marquée par son époque, à savoir le choix de ne pas toucher à la circulation en surface, ou du moins a minima, avec l’aménagement des rues semi-piétonnes dans le centre-ville. La requalification de la surface s’est donc concentrée autour des stations de métro.
Question de mode de transport ou question de mode tout court ? La première ligne du tramway de Nantes, conçue également à cette époque témoigne du même souci de préserver les flux automobiles. Et comme à Toulouse, certaines places (Graslin) et certains axes (Petite Hollande) ne seront réaménagées que plusieurs décennies après. À l’inverse, la construction d’un métro aujourd’hui s’accompagne toujours d’une requalification de la surface, notamment pour intégrer davantage d’espaces verts et faire plus de place aux modes actifs de déplacement.
Les choix faits autour du métro à Toulouse sont donc dictés par les préoccupations de l’époque.
La détermination du profil de la ligne
Pour la première ligne du métro toulousain, des études géologiques sont menées et révèlent un sous-sol favorable associant quatre niveaux (remblais historiques, alluvions fines, nappe phréatique et molasse). Quarante-cinq sondages seront menés pour déterminer la résistance des matériaux composant le sous-sol et adapter les techniques de creusement des futurs tunnels. Une autre enquête est menée par la Société de reconnaissance des sols avec la visite les caves du centre-ville afin de mesurer leur niveau et celui des fondations des immeubles, de localiser les puits construits pendant le Moyen-Âge et de déterminer à quelle profondeur les tunnels devront être creusés. Des caves de deux ou trois niveaux seront découvertes obligeant l’implantation du futur tunnel à 17 mètres au moins sous la surface.
Les études menées permettent d’aboutir en 1986 à la proposition de construire une première ligne de 10 km avec 15 stations, souterraine entre Jolimont et Bagatelle et aérienne entre cette dernière et le terminus de Basso-Cambo.
L’enquête publique effectuée au premier trimestre de 1987 prend en compte plusieurs demandes issues des concertations, à savoir la création de deux stations supplémentaires, celle de « Mirail-Université » et « Reynerie ». Un décalage du terminus de Basso Cambo est également demandé pour mieux desservir la zone d’activités du même nom. La déclaration d’utilité publique est signée le 27 octobre 1987 par le préfet de la Haute-Garonne ouvrant la voie au démarrage des travaux.
Les choix techniques pour la conduite des travaux
Pour la construction de la ligne, le chantier est découpé en lots afin de sécuriser le planning et les coûts. Le forage au tunnelier de la ligne est également acté afin de limiter l’emprise du chantier au sol. Deux puits de forage pour les tunneliers sont prévus : le puit Garonne et le puit Sémard.
Les tunneliers
Chaque tunnelier est conçu en fonction du terrain qu’il va devoir creuser. Ils se différencient par rapport au système d’évacuation des matériaux, les modalités de confinement des terrains et les outils de creusement. Deux tunneliers seront utilisés pour le creusement de cette ligne de métro.
Le tunnelier « Brennus » : ce tunnelier à pression de boues va être utilisé pour creuser 1800 mètres de tunnel entre les stations « Arènes » et « Bagatelle » et 1800 mètres encore entre les stations « Arènes » et le puit Garonne. Il restera sous terre pendant deux ans, fonctionnant 24/24h sauf le dimanche pour sa maintenance. La machine est commandée par plusieurs experts surveillant sa progression et son état, ainsi que par un conducteur, travaillant à l’aveugle. Ce dernier doit moduler les poussées de vingt-six vérins permettant au bouclier du tunnelier d’avancer pour garder le cap de la trajectoire calculée.
Le tunnelier « Clémence » : ce tunnelier à pression de terre va être utilisé pour creuser le sous-sol d’un secteur particulièrement délicat dû à l’ancienneté de ses constructions, le centre-ville de Toulouse. Il va creuser un tunnel bitube situé entre le puit Garonne et le puit Sémard. Ce tunnelier va fonctionner en trois-huit avec dix-sept personnes et dispose d’une taille plus réduite et d’une maniabilité plus grande en raison du terrain rencontré et du profil plus sinueux du tracé.
Pour creuser le sous-sol, le tunnelier tourne et avance en prenant appui sur le tunnel déjà construit. Une jupe métallique soutient le terrain fraichement creusé et les matériaux sont évacués par wagon. Par la suite, les voussoirs sont montés dans l’espace libéré pour former un anneau du futur tunnel. L’ensemble des voussoirs est acheminé par un train de chantier.
Le reste de la ligne sera construit, soit en aérien, soit en tranchée couverte (comme ce fut le cas entre les stations « Marengo-SNCF » et « Jolimont ».
Une technique spéciale utilisée pour le chantier : la congélation des sols
La desserte de la gare impose de passer sous le Canal du Midi et sous les voies ferrées de la SNCF. Une technique spéciale va alors être utilisée pour pouvoir assurer un creusement optimal. Il s’agit de la congélation du sol. Des puits vont être mis en place autour desquels des tubes de congélation sont installés. Le long du futur tunnel, des groupes frigorifiques fabriquent de la saumure à -30° qui va être injectée dans le sol. Une carapace de glace va se former à l’emplacement du tunnel et permettre un creusement de la ligne en contrôlant l’étanchéité et la solidité du terrain. Une fois le tunnel bétonné, la congélation est arrêtée. Près de 150 mètres seront creusés avec cette technique. Pour la sécurité de la voie ferrée en surface et de ses voyageurs, des tabliers seront installés sous les rails.
Inauguration de la première ligne de métro puis projet de deuxième ligne
La ligne A du métro de Toulouse sera inaugurée le 26 juin 1993. Dès l’inauguration, cette première ligne va tout de suite rencontrer un grand succès populaire, déjouant tous les pronostics d’échec de ce projet considéré comme démesuré pour Toulouse. Les Toulousains l’adoptent très vite, louant sa fiabilité et sa rapidité pour traverser la ville (temps de parcours de 18 minutes du terminus de Jolimont à celui de Basso Cambo pour une vitesse de croisière de 60 km/h et de 80 km/h en pointe).
Reportages sur l’inauguration de la ligne A du métro de Toulouse le 26 Juin 1993 :
Dès l’inauguration et face au succès rencontré par la première ligne de métro VAL, une deuxième ligne (qui deviendra la ligne B) est projetée pour desservir les quartiers Nord et Sud de la ville. La correspondance entre les deux lignes est projetée à la station Jean Jaurès ou une amorce est aménagée pour le tunnel de raccordement entre la ligne A et la ligne B. La ligne B a alors vocation à desservir des quartiers excentrés, des quartiers futurs à urbaniser et à rapprocher certains éléments structurants du territoire Toulousain, notamment l’Hôtel de Police, la Préfecture, le Palais de Justice et les Universités de Toulouse 1 (Science Sociales), Toulouse 3 (Paul Sabatier) et Toulouse 4 (Institut National Polytechnique). Le tracé sud de la ligne B fera l’objet de trois variantes : CHU de Rangueil, Ramonville ou bien Montaudran.
En 1997 et après une longue concertation, Toulouse décide de la construction de la ligne B entre Borderouge au nord et Ramonville au sud-est. Dans la foulée, une extension de la ligne A de Jolimont jusqu’à la commune de Balma est également entérinée. Cette extension dont les travaux commencent en 2001 sera inaugurée deux ans plus tard le 20 Décembre 2003. Les travaux de la ligne B commenceront eux aussi en 2001 et la ligne sera inaugurée le 30 Juin 2007.
Reportage sur les travaux du la ligne B du métro de Toulouse
Des niveaux de fréquentation très élevés
Face à ce succès, la ligne A du métro de Toulouse a encaissé une hausse continue de sa fréquentation depuis son inauguration. En 1993, on prévoyait au mieux et à terme 130000 voyageurs par jour. Ce chiffre a été doublé en 25 ans et la ligne s’est retrouvée saturée à 250000 voyageurs par jour en 2018. Un doublement de la longueur des rames, passant de 26 mètres à 52 mètres, a été acté en 2016 et est effectif depuis le 10 janvier 2020. Ce doublement a nécessité la transformation de quatre stations dont les quais n’avaient pas été initialement creusés à 52 mètres. Le doublement des rames de la ligne B est également envisagé à moyen terme.
Il a fallu 25 ans pour que la ligne A du métro de Toulouse sature à 250000 voyageurs par jour. La ligne A du tramway de Bordeaux sature à 130000 voyageurs par jour au bout de 15 ans. Chacune de ces deux villes a fait un choix à un instant T pour ses transports en commun afin de tenter de résoudre ses problèmes de mobilités. Aujourd’hui, Bordeaux et Toulouse sont à la croisée des chemins. L’une envisage la construction d’une troisième ligne de métro de 27 km pour 200000 futurs voyageurs après avoir construit deux lignes de métro VAL puis deux lignes de tramway. L’autre envisage la construction d’une ligne de BHNS électrique de 21 km pour 50000 voyageurs après avoir construit quatre lignes de tramway. Seul l’avenir nous dira lequel de ces choix aura été le plus judicieux même si des éléments de réponse commencent à apparaître au fur et à mesure que le temps passe, ces deux réseaux devant affronter le vieillissement de leurs infrastructures respectives et la hausse de leur fréquentation.
Sources :
Hugues Beilin et Pierre Rey, Un métro pour le Grand Toulouse, éditions Privat, 1993
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